mardi 30 septembre 2008

Tu me tueras...

Le JdM a le mérite d'embaucher des chroniqueurs très diversifiés: Bazzo, Hall, Aubin, Elgraby... ils ont tous un point de vue différent de l'actualité, et c'est bien ainsi. On aimerait avoir un éditorialiste de la trempe d'André Pratte ou Mario Roy, mais bon, à la perfection nul n'est tenu.

Le dernier chroniqueur embauché est Dan Bigras, vous savez, le chanteur qui a compris (comme Claude Dubois) que de refaire ses chansons en duo pouvait rapporter gros au Québec. Il a pondu son premier texte aujourd'hui, et je n'ai pas de félicitations à lui faire. Voici quelques extraits choisis:

Le temps des seigneurs

Dan Bigras
Journal de Montréal
30/09/2008 07h46

Enfin, le temps des seigneurs, des rois et des dictatures est révolu ! Fini, le Moyen ge ! L'ère de la démocratie universelle est à nos portes. La démocratie qui protège les faibles contre les abus des forts. Qui protège le peuple contre la tyrannie du monarque, le paysan contre la rapacité du seigneur... Vous croyez ça, vous ? Moi non plus.

La majorité des gens ont maintenant compris que si la richesse principale de l'Irak avait été le brocoli, il y aurait là-bas en ce moment un peu moins de «démocratie» armée.

(...)

Nous sommes en mission guerrière-humanitaire. Pour reconstruire des écoles pour les petites filles, semble-t-il. Comment pourrions-nous décemment être contre ça? Même si, pas si loin, il y a un pays où l'on brutalise, viole et assassine des milliers de petites filles.

Monsieur Harper pourrait peut-être nous expliquer et expliquer aux familles de nos militaires ce que nous foutons en Afghanistan tout en refusant obstinément d'aller au Darfour, comme si nous n'avions rien retenu du Rwanda.

Combien d'argent de nos poches aux fabricants d'armes ? Une industrie multimilliardaire fabricante de mort.

Combien de milliards en réductions de taxes aux pétrolières ? Ces mêmes pétrolières que plus personne ne croit sur les prix qu'elles nous chargent à la pompe pour du pétrole puisé on ne sait où.

Où puise-t-on notre argent pour le leur donner ? C'est drôle, en même temps on coupe dans la santé, dans les soins communautaires et... ah oui, la culture. C'est qu'il faut faire rouler l'économie.

Bizarre l'économie. À chaque fois qu'elle roule, il y a encore plus d'ultra-riches et encore plus d'ultra-pauvres. Pauvre économie, elle travaille dur. Ça prend beaucoup de pauvres pour faire un riche. Nous en avons la preuve aux États-Unis ces jours-ci en contemplant avec inquiétude une économie qui s'écroule à force d'avoir été pillée par les patrons de Mr Bush.

Ici, le gouvernement Harper remettra en question le droit des femmes à l'avortement et interdira le mariage gai. Interdira l'euthanasie, mais voudra rétablir la peine de mort.

Il va envoyer des enfants de quatorze ans en prison à vie alors qu'il maintiendra leur consentement sexuel légal à seize ans. Aux États-Unis, l'âge légal pour consommer de l'alcool est de vingt et un ans alors que pour acheter une arme à feu, il est de dix-huit ans.

(...)

La vérité, c'est que le temps des seigneurs est revenu.


Ayoye. Vous avez lu le nombre de sujets abordés dans ce minuscule texte? On les compte ensemble: la démocratie bafouée, l'Irak, l'Afghanistan, le Darfour, le Rwanda, l'industrie militaire, les pétrolières, les coupes dans la santé, les coupes dans les soins (sic) communautaires, les coupes en culture, la pauvreté, la crise des prêts hypothécaires à risque aux USA, le droit à l'avortement, le mariage gai, l'euthanasie (!), la peine de mort (!!!), l'âge de consentement sexuel, l'âge légal pour boire, l'âge légal pour acheter une arme à feu.

19. Dix-neuf enjeux complexes et subtils, qui n'ont absolument rien à voir les uns aux autres, sont autant de dossiers réglés par le chroniqueur dans le même texte. Vous avez dit "décousu et impertinent"? Vous avez raison.

Attardons-nous au passage sur l'Afghanistan. M. Harper n'a d'abord pas à expliquer ce que nous "foutons" en Afghanistan, puisque ce sont les Libéraux de Jean Chrétien qui ont envoyé nos troupes là-bas. Et qu'est-ce que le Soudan vient faire là-dedans, pour l'amour de Dieu? Deux pays, deux continents, deux situations qui n'ont absolument rien à voir.

D'ailleurs, si le chroniqueur estime que nous engraissons "l'industrie multimilliardaire fabricante de mort" (allô la démagogie) avec notre cash, il oublie que c'est justement l'armée qui aurait la force d'intervenir au Soudan, si cela était possible.

Harper a dit à peu près 142 fois qu'il ne rouvrirait pas le débat sur l'avortement cette semaine, que veux-t-on de plus? Ce n'est pas parce que 3-4 féministes s'énervent avec un projet de loi (qui est mort et enterré, soit dit en passant, et qui ne faisait pas allusion à l'avortement whatsoever) que c'est vrai. Et d'où est-ce que ça sort cette histoire de peine de mort à la noix???

Dernière niaiserie, et non la moindre: la crise économique a été causée par "les pilleurs patrons de M. Bush". Car tout le monde sait, bien sûr, que les banques américaines sont très heureuses de leur situation en ce moment et qu'elles l'ont fait exprès de prêter trop de cash à une classe moyenne pas capable de rembourser. D'ailleurs, pour des "pilleurs", je trouve qu'elles font faillite vite pas juste un peu, ces banques.

Mais bon, si un chanteur populaire le dit...

5 commentaires:

Unknown a dit…

Le projet de loi C-484 n'est mort et enterré que le temps que le gouvernement Harper sera minoritaire. Rien ne l'empêchera de le ressortir ce projet une fois majoritaire et le faire passer comme du beurre grâce à la ligne de parti.

Pour ce qui est de la peine de mort, le gouvernement Harper a refusé l'an dernier de demander la clémence du gouvernement américain face à l'exécution d'un citoyen canadien, rompant ainsi avec une longue tradition canadienne face aux ressortissants canadiens condamnés à mort à l'étranger.
Et s'il est vrai que l'article va dans tous les sens, c'est probablement dû à des directives floues et à un manque d'encadrement de la part de la direction du journal face à un chroniqueur "rookie".

Oui, son article est bourré de généralisations et de raccourcis, mais le type est un poète et sa plume a davantage l'habitude d'écrire de courts textes allant droit au but et n'utilisant la nuance que dans les images servant à capturer l'imaginaire de son auditoire. Et c'est probablement pour cela qu'on l'a engagé.

Cab a dit…

Je comprend sont statut de journaliste novice mais vraiment, son emportement pour toutes les causes possible frôle la caricature. Je suis désolée mais j'imaginais très bien le type "artiste frustré" qui est si à la mode ces temps-ci (malheureusement).

Phil a dit…

L'affaire, c'est que cette loi ne rouvre pas le débat sur l'avortement quoique puissent en penser les partis d'opposition. Le texte présenté en chambre proposait de rendre plus lourdes les peines pour les criminels qui s'attaquent à des femmes enceintes. Les centrales féminines y ont vu ce qu'ils voulaient bien voir: c'est vrai que la loi accorderait un statut juridique au foetus, mais le PM et le député qui a soumis le projet ont mentionné à maintes reprises que ça ne conçernait pas l'avortement.

Entre choisir de ne pas intervenir en faveur d'un condamné à l'extérieur du pays et rétablir la peine de mort au Canada, il y a non pas un fossé, mais un Grand Canyon de différences que seule la démagogie la plus basse permet de franchir. Laisser entendre qu'Harper rétablirait l'exécution en tant que gouvernement majoritaire est simplement un mensonge, à mon avis.

Non, je ne voterai pas conservateurs dans deux semaines. Sauf que l'espèce d'épouvantail de Harper-l'ogre-mangeurs-d'enfants-extrémiste-dictateur que brandissent les nationalistes depuis quelques mois, je sais pas, ça me rend mal à l'aise.

Dan Bigras est un poète et un auteur de chansons, justemment. Il n'est pas un chroniqueur, pas un journaliste, et il n'est pas capable d'occuper un espace hebdomadaire dans un journal. En tout cas, pas selon ce qu'il a écrit aujourd'hui.

Peut-être que l'encadrement du JdM et l'expérience vont l'aider, je le souhaite. Mais après les passages malaisés de Mafiaboy et Robert Piché, j'en doute grandement.

Unknown a dit…

Si on m'offre une tribune de ce calibre sur un plateau d'argent, je vais probablement la prendre. Peut-être que Dan Bigras sait très bien qu'il ne deviendra jamais un chroniqueur professionnel et que ceci n'est qu'un emploi temporaire.

S'il y a quelqu'un à blâmer ici, c'est davantage ceux qui l'ont engagé et qui ont décidé de ne pas davantage le guider dans ses premiers pas.

Mais je continue à croire cependant que ses récriminations sont justes. Non, Stephen Harper n'est pas la nouvelle incarnation de l'Antéchrist venu sur Terre pour anéantir la beauté et faire régner le mal. Mais il a quand même (et ce, au sein d'un gouvernement minoritaire) rouvert des débats idéologiques qui n'auraient jamais dû être touchés à nouveau. Ses positions et celles de son cabinet sur des débats comme le mariage gay, l'avortement, la peine de mort, l'incarcération des jeunes contrevenants, les investissements en culture, etc. sont davantage motivés par une justification idéologique qu'autre chose et c'est cela qui est réellement dangereux avec lui.

Phil a dit…

Vrai que Harper est motivé par une idéologie propre à son parti, mais on cherchera longtemps un politicien qui ne l'est pas.

La Presse a publié un article très bien fait ce matin sur la loi C-484, sous la plume d'Agnès Gruda. On y apprend que l'avortement était nommément exclu du texte de loi, mais que le député qui l'a proposé était effectivement près d'un organisme pro-vie. Ça éclaire le débat. http://www.cyberpresse.ca/actualites/elections-2008/enjeux/famille/200809/30/01-25170-avortement-qui-a-raison-qui-a-tort.php